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Le Mexique en marche vers l’abolition de la prostitution ?

Le Mexique pourrait-il adopter une législation abolitionniste sur le modèle de la loi française d’avril 2016  ? Dans ce pays très touché par la prostitution et la traite des êtres humains, les forces abolitionnistes se rassemblent, le débat bouillonne et le récent rejet de plusieurs tentatives de libéralisation du marché du sexe donne de sérieux espoirs en ce sens. D’autant que Rosi Orozco, ancienne parlementaire et présidente de la Comision Unidos Vs Trata, a profité d’un séjour en Europe pour rencontrer ses partenaires français, la Fondation Scelles en particulier, et échanger avec eux sur le modèle français.

 logo Comision Unidos Versus Trata

 

En décembre 2016, deux propositions de loi ont été soumises au scrutin des parlementaires mexicains. Il s’agit : 

1) d’une réforme de la loi sur la traite des êtres humains (remettant en cause 80 des 125 articles de la loi) proposée par le Sénat. Pour la plupart des associations de lutte contre la traite, l’adoption d’une telle réforme risquait de marquer un retour en arrière et pouvait avoir des conséquences graves sur le sort des victimes : rendre l’identification des victimes plus difficile, favoriser l’impunité des délinquants, ouvrir la porte à l’exploitation des droits humains. Le texte envisageait en particulier de modifier la nature de l’infraction de traite et de faire de la contrainte ou autre forme de violence des éléments constitutifs. Autrement dit : avec cette réforme, il revenait à une victime de traite d’apporter la preuve de l’usage de la menace, de la contrainte… pour faire valoir sa plainte. Sans quoi, le trafiquant n’était pas mis en cause et la victime perdait toute protection. Une des premières conséquences concrètes de cette réforme aurait été d’ailleurs de remettre en liberté quelques dizaines de trafiquants déjà incarcérés, faute d’éléments suffisants

2) du projet de constitution de la ville de Mexico City, qui prévoit, dans un alinéa de l’article 15, de reconnaître la prostitution comme « un travail volontaire et autonome » et « une activité licite ». Plus grave encore, au-delà même d’une vision réglementariste de la prostitution, cette mesure voulait faire du « travail du sexe » un modèle économique, un nouveau mode de travail auto-entrepreneurial en réponse à une société en crise.

Plusieurs personnalités, des parlementaires en particulier, se sont exprimés contre ce projet : la prostitution n’est pas un travail, mais une exploitation et une violation des droits humains. Il a également été rappelé qu’une telle proposition violait ouvertement les traités internationaux reconnus dans l’article 1 de la Constitución Politica de Los Estados Unidos Mexicanos.

 

Ces propositions n’ont finalement pas été adoptées. Le 15 décembre, les députés, réunis en assemblée plénière ont décidé de retirer le projet de réforme de la loi sur la traite, sans même le discuter. Et, quelques jours auparavant, l’article 15 de la Constitution, envisageant de faire de la prostitution un « travail », a été rejeté par la Comisión de Carta de Derechos de la Asemblea Constituyente : aucune constitution n’a jamais reconnu la prostitution comme un travail, pas même dans les pays qui ont légalisé la prostitution.

 

Dans un pays partagé entre interdiction et réglementation de la prostitution (suivant les Etats et les régions), ces décisions ont une portée symbolique. La proposition du Sénat ayant été abandonnée, le Parlement mexicain commencera à travailler sur un projet de loi en faveur des victimes en janvier 2017. C’est un nouveau pas dans la voie abolitionniste.

 

L’abolitionnisme français pour modèle

Et le Mexique pourrait alors s’inspirer de l’exemple français. La loi adoptée par la France en avril 2016, a en effet rencontré un vif écho au Mexique. C’est une « révolution sexuelle française », commentait alors Rosi Orozco, présidente de l’ONG Comisión Unidos Vs Trata (R. Orozco, « La revolución sexual francesca », Milenio.com, 22 avril 2016). De fait, sur le modèle nordique, la nouvelle loi a révolutionné la perception de la prostitution en France en interdisant l’achat d’un acte sexuel et en renforçant la protection des personnes prostituées.

 

>> Pour en savoir plus

La loi prostitution en France – 13 avril 2016

 

Rosi Orozco à la Fondation Scelles avec Yves CharpenelRosi Orozco, figure majeure de l’abolitionnisme mexicain, milite activement pour l’adoption d’une loi de ce type. Elle est à l’initiative du forum international sur « l’exploitation sexuelle, violation des droits humains » organisé à Mexico City en octobre 2016. L’objectif de cette manifestation qui rassemblait des parlementaires, mais aussi des organisations abolitionnistes et des experts du monde entier, était de diffuser le message abolitionniste sur le continent latino-américain, en mettant l’accent sur le rôle déterminant de la demande. Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, y participait pour porter les couleurs du nouvel abolitionnisme français.

 

 

>> Pour en savoir plus

La Fondation Scelles au Mexique pour promouvoir la pénalisation de la demande de prostitution

La loi française sur la prostitution : un nouveau modèle de lutte contre le système prostitutionnel

 

A l’automne dernier, Rosi Orozco a profité de son passage en France pour s’informer précisément sur la nouvelle loi française. Elle a visité la Fondation Scelles, ONG partenaire de la Comisión Unidos Vs Trata, et échangé avec Yves Charpenel à ce sujet : quel a été le processus d’adoption de la loi ?, quels ont été les obstacles ?, comment les associations abolitionnistes ont-elles soutenu la proposition de loi ?...

 

http://comisionunidos.org/ 

 

Pour Rosi Orozco, la loi « ne peut fonctionner que si l’on sanctionne tous les maillons de la chaîne de criminalité, y compris le client ». Mais comment y parvenir sans risquer l’anti-constitutionnalité ? Poursuivre le client, est-ce porter atteinte à sa liberté, à la liberté de commerce ? C’est le principal obstacle théorique rencontré. Cette question a déjà été soulevée au Mexique par les opposants d’un premier projet de loi, d’esprit abolitionniste, qui fut repoussé pour anticonstitutionnalité. Face à cette question, la réponse de la France est que la légitimité de la pénalisation du client tient aussi au fait que l’achat de services sexuels favorise la prostitution, qui est une atteinte à la dignité de la personne, principe constitutionnel.

 

Agir ensemble pour l’abolition

Rosi Orozco est également convaincue que le changement et la disparition des formes de traite et d’exploitation sexuelle doivent passer par le renforcement de la coopération et, en particulier, de la coopération internationale. La loi française a d’ailleurs été portée par un collectif d’associations féministes, Abolition 2012, cofondé par le Mouvement du Nid, l’Amicale du Nid et la Fondation Scelles. Et Sur ce modèle, un mouvement collectif, la Coalición para la Abolición del Sistema Prostituyente, a été créé au Mexique pour porter le projet abolitionniste.

 

Un front abolitionniste se forme. Et le modèle français devrait continuer à inspirer le mouvement abolitionniste mexicain tant dans ses modes d’action que dans son argumentaire. La Fondation Scelles restera attentive à l’évolution de la situation mexicaine et continuera de soutenir cet élan.

 

Mexique - Etat des lieux

  • Un des pays d’Amérique latine les plus avancés en matière de lutte contre la traite des êtres humains.
  • 40% de la population mexicaine vit dans la pauvreté ce qui aggrave les difficultés des femmes à améliorer leurs conditions de vie et à combattre l’oppression exercée par le système. Les femmes entrent dans l’industrie du sexe sous la contrainte et la violence, ou poussées par la nécessité économique.
  • Presque 70% des jeunes filles en situation de prostitution n’ont pas 18 ans. Selon les instances officielles, on compterait 25 000 enfants prostitués (mais la réalité est probablement bien supérieure : autour de 70 000 mineurs prostitués selon certaines estimations).
  • Le trafic des êtres humains génère plus de 20 milliards d’euros par an au Mexique.

>> Lire aussi : L'état des lieux de la prostitution au Mexique - chiffres, législation, évolutions, enjeux, dans le Rapport mondial 2016 de la Fondation Scelles sur les prostitutions

 

Neli Delgado, « supervivante » de la prostitution

Neli Delgado, membre de la Comisión Unidos Vs Trata, est une survivante, « supervivante » pour reprendre l'expression de Rosi Orozco, de la prostitution.
Le décès de son père, une mauvaise rencontre, un petit ami qui la séduit puis la contraint à vendre son corps dans les rues de Mexico City... Neli Delgado, 19 ans, tombe dans la prostitution : 30 clients par jour, des mois d'enfer.
Sauvée lors d'une opération policière, Neli est confiée à la Fondation Camino a Casa, qui accueille des victimes de traite des êtres humains, et prise en charge par Papa German, responsable d'un programme de réinsertion pour des survivantes de la traite, et par Rosi Orozco. « Ils m'ont aidée à reconstruire mes rêves et à en faire une réalité ».
Aujourd'hui, Neli est diplômée en « Business Administration » de LaSalle University et travaille à la création de son entreprise de restauration. Parallèlement, elle continue à s'impliquer dans la lutte contre la traite des êtres humains, aux côtés de Rosi Orozco, et à témoigner de la violence qu'elle a vécue dans l'exploitation sexuelle, comme « supervivante » de la prostitution.

 

>> Pour aller plus loin

L'état des lieux de la prostitution au Mexique depuis 2010, dans :

-       Exploitation sexuelle – Prostitution et crime organisé, Paris, Ed. Economica, 2012 ;

-       Exploitation sexuelle. Une menace qui s’étend, Paris, Ed. Economica, 2014,

-       Prostitution. Exploitations, Persécutions, Répressions, Paris, Ed. Economica, 2016.

 

 

 

La Fondation Scelles dans la presse

  • (ES - Milenio) El ser humano no está a la venta
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