Après 8 ans de mise en œuvre de la loi de lutte contre le système prostitutionnel du 13 avril 2016, la Ministre Aurore Bergé a présenté jeudi 2 mai une stratégie interministérielle visant à améliorer son application : une phase 2 de la loi que les associations qui accompagnent les personnes en situation de prostitution réclamaient depuis plus de 3 ans[1]. Elle a associé quatre survivantes qui ont témoigné de leurs parcours et ont exprimé leurs attentes quant à cette stratégie[2].
Les dispositifs prévus par la loi font leurs preuves : les démantèlements de réseaux proxénètes augmentent, les personnes qui ont bénéficié d’un parcours de sortie de la prostitution (PSP) s’insèrent durablement, les demandes de prévention en direction des jeunes sont plus nombreuses, la prostitution des mineur·es est devenu un véritable sujet de préoccupation des professionnel·les et des institutions, la pénalisation des « clients » prostitueurs fonctionne.
Mais nos associations de terrain constatent aussi que ces dispositifs sont insuffisamment mobilisés : moins de 1500 personnes ont bénéficié d’un PSP, les personnes étrangères ont de grandes difficultés à accéder au séjour, la pénalisation des clients est mise en œuvre de façon anecdotique, dans un contexte où tous les acteurs constatent une augmentation du phénomène prostitutionnel notamment chez les mineur·es et jeunes majeur·es.
Nous saluons la volonté de Mme Aurore Bergé de mettre le projecteur sur cette question, d’avoir une parole publique qui rappelle que la prostitution est une violence sexiste et sexuelle et un obstacle à l’égalité, et d’engager le gouvernement à mieux mettre en œuvre la loi sur tous ses volets et sur tous les territoires. C’est primordial. Nous saluons le travail de l’OCRTEH[3] qui améliore la considération apportée aux victimes dans les procédures judiciaires pour proxénétisme ou traite aux fins d’exploitation sexuelle, ainsi que l’intégration de l’ancien plan dédié à la lutte contre la prostitution des mineur·es dans cette stratégie. Et nous sommes satisfaites de voir le rétablissement de l’accès pour les personnes en situation de prostitution à l’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences.
Toutefois les associations constatent depuis plusieurs années la faiblesse de l’engagement des ministères de l’Intérieur et de la Justice – Ministres représentés mais absents à l’annonce de cette stratégie. En préfectures, le ministère de l’Intérieur considère les personnes prostituées étrangères trop souvent comme des immigrées irrégulières, et non comme des victimes de violences sexuelles à qui l’Etat doit protection et assistance. Et ceux qui abusent d’elles ne sont que trop peu inquiétés. Seule la volonté de ces ministères à agir pourra diminuer le nombre de victimes de la prostitution de manière significative. Nous veillerons à ce que les mesures prévues dans cette stratégie soient effectives.
Nous regrettons l’absence de moyens supplémentaires pour augmenter le nombre de Parcours de sortie de prostitution. L’allocation financière prévue pour les personnes qui en bénéficient n’est pas revalorisée et reste à 342€ par mois, C’est indigne ! L’autorisation de séjour déjà précaire n’est pas améliorée, la mise en sécurité des femmes et des filles, notamment étrangères mais aussi des mineur·es et jeunes majeur·es, est insuffisante…
Lorsqu’elle a été adoptée, la loi de 2016 visait à un changement d’échelle significatif, à savoir permettre la diminution sensible du nombre de personnes en situation de prostitution, en leur proposant des alternatives crédibles. Et lutter contre les réseaux et les proxénètes en tarissant leur source de revenus qui ne provient que de ce que dépensent les clients prostitueurs. La volonté politique affichée dans cette stratégie devra se concrétiser dans des résultats chiffrés. Les marges de progrès sont énormes.
>>> PLAN DE LUTTE CONTRE LE SYSTEME PROSTITUTIONNEL (PDF)
[1] Rapport FACT-S, 2021, https://www.fact-s.fr/#rapport-2021
[2] Podcast La Vie en Rouge, https://smartlink.ausha.co/la-vie-en-rouge
Trois affaires, à quelques jours d'intervalle, ont mis en lumière des « clients » condamnés ou en attente de procès. L'impunité n'a plus cours chez les agresseurs. Verbalisés par téléphone, en direct sur les lieux de prostitution, en train de solliciter dans la rue ou par sms... Et pas seulement à Paris : Herblay, Castres, Argentan... Police, tribunal, audiences... La peur en passe de changer de camp ? « Je ne m'y attendais pas »... Des hommes, rien que des hommes. En couple ou mariés pour la plupart. N'ayant jamais eu maille à partir avec la justice. Les excuses sont toutes trouvées. Fabriquées à la volée pour justifier l'injustifiable. Ça plaisante encore, jusque dans la salle d'audience, mais la justice cette fois reste ferme et insiste sur les condamnations : amendes, stage, courrier au domicile. Et quand il s'agit d'une mineure de 12 ans, on ne parle plus d'amende, ni de « mesure alternative », mais d'une affaire criminelle.
Herblay 1
6 hommes âgés de 24 à 35 ans, nous dit Le Parisien … la victime : 12 ans. Difficile de soutenir qu’ils ne savaient pas qu’elle était mineure. Ils risquent jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Devant la gravité des faits, Le Parquet de Pontoise a décidé de poursuivre. « Ils sont repérés et identifiés, puis placés en garde à vue ce mercredi 24 janvier au matin avant d’être déférés sur décision du parquet de Pontoise en comparution immédiate ». Aujourd’hui, en attente de leur procès, ils doivent aller pointer au commissariat et ne pas rentrer en contact avec la victime. En guise de facilitateurs de cette exploitation, deux hôtels d’Herblay concernés dans lesquels se sont déroulés les faits, et le site sexemodel qui a servi à ces prostitueurs à entrer en contact avec leur victime. Ça fait déjà beaucoup de circonstances aggravantes au regard du code pénal.
Castres 2
Une vingtaine d’hommes concernés, âgés de 20 à 68 ans … Pour la plupart mariés et père de famille. Bilan des sanctions : des amendes de 300 à 700 euros assorties d’un « stage » de responsabilisation. L’habituelle foire aux excuses a été convoquée lors de l’audience au tribunal de police : « ma femme est ménopausée », « ma compagne m’a trompée », « je ne savais pas que c’était interdit de leur téléphoner »… En attendant, des courriers ont été envoyés à leur domicile pour la convocation au « stage ». Histoire de ne pas laisser trop vite la place à l’oubli… Derrière ces violences sexuelles, un réseau de jeunes femmes originaires d’Amérique Latine. Autrement dit, une organisation tierce qui a permis leur venue et leur exploitation…
Argentan 3
Un homme de 43 ans condamné à effectuer un « stage ». La victime, une nouvelle fois mineure, 17 ans. L’excuse toute trouvée : « je ne savais pas ». Le condamné les faisait venir chez lui. Livrées à domicile. Par le proxénète. Comme des pizzas ? A la barre du tribunal d’Argentan, l’individu a reconnu tous les faits, sauf la connaissance de l’âge de la victime. Et une bonne inscription au casier au cas où l’envie de récidiver lui viendrait ?
Même si la Fondation Scelles aurait souhaité des peines plus sévères, considérant la gravité des violences perpétrées et leurs conséquences, nous nous félicitons des actions concrètes de la mise en œuvre de la pénalisation des « clients » prostitueurs que la loi 2016-444 rend responsables de la perpétuation d’un système d’exploitation qui touche d’abord les femmes et les filles. La fin d’un monde peut-être, ou le commencement de la fin pour ces hommes qui se croient à l’abri en passant par internet, au-dessus des lois, innocents. Mais bizarrement, quand on leur demande de se mettre à la place de leur compagne et d’imaginer, un instant, que cette dernière soit condamnée, elle aussi, pour un achat d’actes sexuels, ils ne l’envisagent pas : « ce n’est pas possible », « je la quitte », « je la tue », « les femmes n’ont pas les mêmes besoins que nous »… Il reste encore beaucoup de travail… et beaucoup de place pour les sanctions qui viendront assécher les réseaux de traite et de proxénétisme et tous ceux qui profitent de cette exploitation, « clients » compris.
1. https://www.leparisien.fr/faits-divers/expert-comptable-ambulancier-les-clients-dune-prostituee-de-12-ans-interpelles-a-herblay-25-01-2024-MC3S466I7ZAHXK5NUA2ZKGCVYY.php?xtor=AD-366
2. https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/ma-femme-etait-menopausee-javais-besoin-de-chaleur-humaine-ma-compagne-mavait-trompe-des-clients-de-prostituees-juges-devant-le-tribunal-de-police-de-castres-11722558.php
3. https://actu.fr/normandie/argentan_61006/il-payait-600-e-des-prostituees-meme-mineures-un-habitant-dargentan-condamne_60655120.html
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